Rénovation énergétique : « Notre rôle consiste aussi à interpeler le secteur bancaire » (Dominique Estrosi-Sassone)

En première ligne des objectifs de neutralité carbone de la France en 2050, le bâtiment, responsable de 28% des émissions de gaz à effet de serre, se sait attendu au tournant. Or, la dynamique de rénovation énergétique, grâce à laquelle le secteur doit entrer dans l’ère de la décarbonation massive, peine à passer à la vitesse supérieure. Un rapport sénatorial, présenté en juillet, cherchait à en comprendre les raisons. Lesquelles sont multiples et financières, selon la présidente de la commission d’enquête qui s’est penché sur le sujet, Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice des Alpes-Maritimes.
        
Six mois d’enquête, 174 personnes auditionnées, 21 réunions plénières et un rapport pour tenter de comprendre pourquoi la France peine à remplir ses objectifs en termes de neutralité carbone et de lutte contre la précarité énergétique. Présentées en juillet dernier, les conclusions de la commission d’enquête du Sénat sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique esquissent un premier train de réponses, à l’heure où la parole présidentielle s’empare – enfin – de la planification écologique.
        
Il faut rappeler que pour tenir la trajectoire de décarbonation fixée par la France d’ici à 2050, le bâtiment en général, le résidentiel en particulier, doit être placé en haut de la pile, lui qui représente 48% de la consommation nationale d’énergie et 28% des émissions de gaz à effet de serre. En effet, les deux-tiers du parc actuel sont concernés par la rénovation énergétique car seuls les logements classés A et B seront considérés, demain, comme neutres en carbone. Soit, si l’on se limite au seul parc social, 4 millions de logements en France, dont 250.000 sur un total de 330.000 en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Selon la SNBC (Stratégie nationale bas carbone), cela nécessite à l’échelle nationale un rythme de rénovation de 370.000 logements par an d’ici à 2030 et 700.000 au-delà. Or, nous en sommes loin : en 2022, moins de 100.000 rénovations globales ont été engagées alors que chaque année plus de 8 milliards d’euros sont dépensés.
        
Alors, qu’est-ce qui pèche ? « La confiance« , estime Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice LR des Alpes-Maritimes et présidente de la commission d’enquête évoquée plus haut. « Si nous voulons passer à la vitesse supérieure et relever le défi de l’accélération de la rénovation énergétique, il faut redonner confiance à nos concitoyens« . Une confiance, constate le rapport, érodée « par l’instabilité, la complexité des outils et un reste à charge trop élevé et trop long à rentabiliser« . D’où cet attentisme qui pénalise une trajectoire qui n’est toutefois pas exempte de progrès réels. Et Dominique Estrosi-Sassone de prendre l’exemple de MaPrimeRénov, lancée en 2020 et consacrée aux travaux de rénovation énergétique. Si l’on en croit les chiffres de l’ONRE (Observatoire national de la rénovation énergétique), cette aide connaît un vrai succès avec plus de 650.000 demandes en 2021 et 2022, mais « 72% d’entre-elles se limitent à une rénovation par geste, en l’occurrence le changement de mode de chauffage, alors qu’il faudrait des rénovations globales » où l’isolation du logement serait le maître-mot. « La décarbonation seule ne permettra jamais d’éradiquer les passoires thermiques et de lutter contre la précarité énergétique qui touche 5,6 millions de ménages en France« .
L’idée serait donc d’encourager les rénovations efficaces, et donc le financement associé. Or toutes les aides n’ont pas les mêmes réussites. « Le prêt avance rénovation (prêt hypothécaire proposé aux ménages modestes depuis le 1er janvier 2022, NDLR) est un échec, relève la sénatrice. Une centaine de prêts seulement a été attribuée. L’outil est certes complexe à mettre en place mais, sur ce sujet-là, les banques, en dehors de la Banque postale et du Crédit mutuel, n’ont pas été au rendez-vous. Notre rôle consiste aussi à interpeller le secteur bancaire« .

 

Autre frein soulevé par la sénatrice, le diagnostic de performance énergétique ou DPE. C’est lui qui classe les logements en fonction de leur performance énergétique, et constitue le sésame sans lequel beaucoup se retrouveront frappés d’indécence à plus ou moins court terme. Et donc retirés du marché. Dans le rapport sénatorial, celui-ci est comparé à un thermomètre qui donnerait « une température différente selon le médecin« . « Il y a dans cet outil un certain nombre d’impensés comme ceux liés aux petites surfaces ou encore au confort d’été qui n’est pas pris en compte. Or, nous l’avons vu cet été, la chaleur est aussi importante à mesurer dans la note finale que le froid« , souligne Dominique Estrosi-Sassone. Laquelle insiste également sur la problématique du bâti ancien, celui d’avant 1948, comme ces maisons à colombage alsaciennes, à la fois passoires thermiques et patrimoine remarquable. « Il est absolument nécessaire de penser un DPE propre à ces bâtiments« . Comme il en faudrait un dédié aux copropriétés, « un DPE collectif » qui se substituerait aux DPE individuels, car « on n’embarquera jamais les copropriétaires dans la rénovation énergétique globale si les règles restent telles quelles. Il y en aura toujours qui bloqueront les travaux« .

 

Dans le parc locatif social, plus vertueux que le privé en matière de rénovation énergétique, les freins diffèrent. Ils sont essentiellement sonnants et trébuchants. « Le rapport montre que les bailleurs sociaux sont prêts techniquement et ont la volonté de passer rapidement à l’action. Ce qui manque, c’est l’accompagnement financier adéquat« . Lequel est estimé à 9 milliards d’euros par an, somme que les bailleurs ne peuvent plus porter sans aide de l’Etat. « Les opérateurs n’ont plus de véritable capacité d’autofinancement depuis l’instauration de la RLS (Réduction du loyer de solidarité, estimé à 1,3 milliard d’euros annuel qui échappe aux bailleurs depuis la loi de finance 2018, NDLR) et désormais la hausse des taux du livret A« . Or, sans cette capacité à investir, craint la sénatrice, « les bailleurs seront amenés à faire un choix : rénover ou construire« . Un dilemme, juge-t-elle, car « qu’on le veuille ou non, il y a besoin de construction nouvelle comme il y a besoin de rénovation« . Pour rappel, 2,4 millions de ménages ont une demande HLM en cours dont 1,7 million est en attente d’un logement, chiffre en augmentation de 7% en moyenne. D’où la demande du rapport, entre autres, d’abonder à hauteur de 1,5 milliard d’euros supplémentaires le volet rénovation énergétique des logements locatifs sociaux dans le projet de loi de finance 2024. Sans cela, « nous ne nous abstiendrons pas de déposer une proposition de loi allant en ce sens dès le premier semestre 2024« .

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