François Durovray : « La disparition du timbre rouge pose la question de l’aménagement du territoire et de la fracture numérique » (Le Monde)

A bas bruit, dans la période de vœux anesthésiée par la réforme des retraites, le couperet est tombé : le traditionnel timbre rouge n’est plus, depuis le 1er janvier. La classique « lettre prioritaire » est désormais remplacée par un format dématérialisé baptisé « e-lettre rouge ».

Tribune publiée par Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/05/la-disparition-du-timbre-rouge-pose-la-question-de-l-amenagement-du-territoire-et-de-la-fracture-numerique_6160609_3232.html

Pour envoyer un document avec cette « e-modalité », il faudra le déposer avant 20 heures sur le site La Poste ou depuis un bureau de poste. Le document sera numérisé, imprimé, mis sous enveloppe et distribué le lendemain. Un néoprocédé que ne renieraient pas les Shadoks et qui n’est pas sans inconvénients en matière de confidentialité (le document passe désormais entre plusieurs mains autres que celles de l’usager mettant sous pli). Mais, surtout, en matière d’usage : 13 millions de Français, selon l’Insee, soit 18 % de la population, sont sans accès à Internet.

Mauvaise réplique numérique

Le fait que La Poste vienne supprimer le timbre rouge n’est pas en soi choquant ou absurde. Les usages des Français ont, en effet, évolué et les chiffres l’attestent : les ménages envoyaient 45 lettres prioritaires par an en 2010 contre seulement cinq en 2021. Au-delà même de la lettre rouge, on comptait 18 milliards de plis envoyés en 2008, moitié moins en 2018, et les prévisions ne tablent plus que sur 5 milliards en 2025 ! La Poste en tant que service public doit bien sûr s’adapter aux besoins des Français.

Toutefois, cette disparition n’est pas anodine et suscite deux réflexions. D’abord, celle de l’efficacité des réformes à mener. En l’espèce, pourquoi ne pas avoir assumé de supprimer, purement et simplement, ledit timbre rouge plutôt que de créer une mauvaise réplique numérique ? En effet, le timbre vert (soixante-douze heures de délai) continuera de subsister aux côtés des e-mails et il sera suffisant pour répondre aux besoins d’envois par voie postale.

C’est, hélas, un mal très français que de vouloir à tout prix garder des redondances. Par nature, on ne réforme jamais rien en France, on empile. A croire qu’un véritable syndrome de Diogène nourrit les couloirs de nos institutions ! L’analyse vaut d’ailleurs aussi pour les textes : nous comptons ainsi une augmentation de 65 % pour les textes de loi et de près de 46 % pour les textes réglementaires entre 2002 et 2020.

La Poste fait face à une transition, mais elle doit prendre les bonnes orientations, assumer ses choix, et non créer une nouvelle offre – trop complexe et peu pertinente – dont on peut déjà prévoir l’échec. Les services publics doivent s’adapter, mais ils ne doivent pas disparaître. Or, la disparition du timbre rouge pose la question de l’aménagement du territoire et de la fracture numérique, objet de la seconde réflexion.

Accompagner la dématérialisation

En effet, depuis trop longtemps, les services publics reculent et se déshumanisent. La création des Maisons France Services est intéressante en matière de mutualisation mais ne résout, hélas, en rien le côté kafkaïen des procédures des caisses d’allocation familiales, d’assurance maladie ou de Pôle emploi.

Voilà pourquoi l’État et les collectivités doivent mener une véritable politique de lutte contre les fractures territoriales et numériques. Il leur revient, en effet, d’assurer la formation universelles aux usages numériques et, notamment, de confier à des médiateurs la capacité d’effectuer les tâches administratives pour le compte d’un usager. L’accompagnement est essentiel face à la dématérialisation.

Pour assurer la couverture spatiale, il est nécessaire de développer l’itinérance, comme le font déjà certains territoires. Ainsi, dans l’Essonne, le succès des dispositifs mobiles, comme les camions de protection maternelle et infantile, de la médiathèque départementale et du fab lab (un tiers-lieu mobile qui s’installe en résidence dans les villes et villages du sud du territoire), ne se dément pas. Ils assurent une présence qui, certes, n’est pas continue, mais couvre l’ensemble du territoire – urbain comme rurale, du nord au sud, pour les personnes âgées comme les plus jeunes.

L’isolement, qu’il soit social, technologique ou territorial, n’est pas acceptable, car la République doit faire vivre sa devise et l’adapter aux enjeux des temps nouveaux. À nous de réinventer le véritable service public et de le faire vivre au quotidien. À défaut de lettre, voilà la véritable réforme prioritaire.

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