INTERVIEW – Le Sénat examinera ce jeudi la proposition de loi de la sénatrice Valérie Létard. Un texte qui vise à créer une aide d’urgence destinée aux victimes de violences conjugales. Un sujet sur lequel l’élue centriste espère voir un consensus se former.
Article par Le JDD : https://www.lejdd.fr/Politique/violences-conjugales-pour-la-senatrice-valerie-letard-il-est-urgent-daider-financierement-les-victimes-4141586
Article de Hugo Palacin
Malgré le statut de « grande cause » du premier quinquennat d’Emmanuel Macron et l’adoption sous la dernière législature d’un arsenal législatif permettant de lutter contre ce fléau, les violences conjugales sont encore considérablement présentes dans la société française. En 2021, 122 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex conjoint. Depuis le début de l’année en cours, le collectif « Féminicides par compagnon ou ex » en dénombre déjà 89 sur le territoire français. Désormais fortement concernés par cette problématique meurtrière, les responsables politiques tentent tour à tour d’apporter de nouvelles solutions, de combler les vides législatifs ou d’ajuster certaines lois pour répondre au mieux à ce phénomène. En ce début de session parlementaire, la sénatrice du Nord Valérie Létard y va de son initiative.
Dans une proposition de loi signée par une centaine de sénateurs issus de tous les bancs, l’élue de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) propose la création d’une « aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales ». Celle qui est également vice-présidente du Sénat détaille pour le JDD les motifs de ce texte, qu’elle espère voir adopter par ses collègues lors de son examen au sein de la niche parlementaire du groupe Union centriste (UC), ce jeudi.
Quel problématique entendez-vous pallier à travers votre proposition de loi ?
L’arrondissement de Valenciennes (Nord), dont je suis élue départementale, est un territoire fortement frappé par le phénomène des violences conjugales. Là-bas, huit femmes déposent plainte chaque jour pour ces faits et près d’un millier sont suivies par les associations. J’y ai observé que pour nombre d’entre elles, la question de l’emprise financière occupe une place centrale dans la résolution de leur situation. Trop souvent, ces femmes n’ont pas d’autonomie financière ; elles ne possèdent pas de papiers, de carte bancaire ou même de compte en banque. Cela entrave leur départ du domicile, ce qui induit qu’au bout de 24 ou 48 heures après l’avoir quitté, la victime n’a généralement d’autres solutions que d’y retourner. Aujourd’hui, dans ces situations, on peut demander le RSA mais il se débloque au bout d’un mois. L’idée est de trouver une solution intermédiaire lors de cette période de tous les dangers qui incite de nombreuses victimes à renoncer à quitter le domicile familial par manque de moyens.
Vous proposez ainsi une aide d’urgence, qui serait délivrée sous forme de prêt par le Caisse d’allocations familiales (CAF). Concrètement, comment les victimes peuvent-elles y prétendre ?
Il s’agit d’un prêt à taux zéro, qui pourrait être débloqué par la CAF sous deux jours ouverts à partir du dépôt de plainte, d’une ordonnance de protection ou d’un signalement des services sociaux auprès du parquet transmis à la CAF. Ce prêt, en trois mensualités au plus, serait équivalent au montant d’un RSA type pour une personne seule (environ 575 euros, NDLR), en attendant que la victime puisse réellement percevoir cette allocation. Cela permettrait ainsi de combler un vide dans le dispositif actuel qui empêche les victimes de pouvoir s’extirper de ce genre de situations.
Sous quelles conditions ce prêt devra-t-il être remboursé ?
L’idée est qu’il soit remboursable sur le long terme, une ou deux années après avoir été contracté. Et ce remboursement ne doit pas engendrer de surendettement de la victime. Si sa situation financière est difficile, il faudrait pouvoir annuler ce prêt. Dans l’idéal, ce prêt devra être remboursé par l’auteur des violences, par subrogation de la CAF.
Avez-vous bon espoir que vos collègues sénateurs adoptent votre texte ?
C’est, à mon sens, une mesure transpartisane, un sujet de société qui dépasse tous les clivages politiques. C’est pourquoi j’ai proposé aux députés de tous les groupes de la co-signer. Ce dispositif est mesuré, réfléchi et permet de ne pas perde de temps face à l’urgence de la situation sur l’ensemble de notre territoire. Et pour cause : elle a été adoptée à l’unanimité lors de son examen en commission des affaires sociales, la semaine passée. J’espère que mes collègues sénateurs feront de même jeudi, ainsi que les députés lorsqu’ils l’examineront, car il y a urgence.