Pour moderniser l’offre de trains en France, quinze élus à la tête des régions proposent, dans une tribune au « Monde », un plan de 100 milliards d’euros entre 2023 et 2033, cofinancé par l’Etat, l’Europe, la SNCF et les collectivités.
Energie, carburant… autant de sujets d’inquiétude pour les Français, autant de pénuries et de coûts di!cilement supportables pour nos entreprises. L’énergie et le carburant, mais aussi le manque de médecins ou la pénurie de masques durant la crise sanitaire, ne sont pas des sujets isolés, ils démontrent l’absolue nécessité d’anticiper pour ne pas subir. Dès lors, nous alertons car notre réseau ferré est déjà en passe de connaître la même imprévision qui le condamnera, à court terme, à fermer de nombreuses lignes, les unes après les autres.
La France disposait sans doute du réseau ferré le plus dense d’Europe. Il répond à tous les enjeux actuels : la fin des énergies fossiles, le pouvoir d’achat, le développement économique, l’innovation industrielle, la protection de l’environnement. Nous devons donc provoquer le choc d’une o »re ferroviaire. Parce que le ferroviaire, c’est le réseau public qui relie les femmes, les hommes et les territoires. Le train répond concrètement aux préoccupations de mobilité du quotidien, de pouvoir d’achat et de vie dans nos villes comme dans nos campagnes. C’est aussi une solution d’avenir pour la Corse, pour nos territoires ultramarins, où les contraintes géographiques et l’exigence environnementale, dans des milieux sensibles, plaident pour un renforcement des mobilités collectives et du fret.
L’innovation doit être au cœur
Les régions transportent chaque jour 13 millions de voyageurs et de scolaires, dans, entre autres,
8 000 trains régionaux et 6 200 Transiliens et RER en Ile-de-France. Garantir les mobilités ferroviaires qui irriguent les villes comme les campagnes, c’est assurer un avenir décarboné à nos territoires et une accessibilité à leurs habitants.
Le ferroviaire, c’est aussi l’innovation industrielle. Le réseau français est un maillage de voies ferrées aujourd’hui obsolescentes, de matériel roulant vieillissant, un savoir-faire industriel encore reconnu dans le monde, mais aujourd’hui fortement concurrencé. Ce réseau ferré requiert, selon Jean-Pierre Farandou, le PDG de la SNCF lui-même, un investissement de 100 milliards d’euros sur quinze ans, pour sa remise à niveau immédiate et pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Il est également urgent d’accélérer la régénération indispensable de la partie du réseau des RER franciliens devenue extrêmement vétuste faute d’entretien et qui transporte pourtant quotidiennement des millions de voyageurs.
L’innovation doit être au cœur de ce chantier : pour moderniser la régulation du trafic, pour disposer d’un système de billettique qui favorise l’intermodalité, pour décarboner nos modes de traction avec le train à hydrogène… Donner à nos entreprises les moyens de démontrer leur savoir-faire, d’innover et de gagner dans la compétition mondiale est un enjeu industriel déterminant. Le ferroviaire, c’est le développement économique. L’histoire démontre que la croissance a toujours été précédée par des investissements importants dans les transports. Nos voisins ne s’y trompent pas : l’Allemagne prévoit d’investir 90 milliards d’euros dans le ferroviaire, l’Italie annonce un plan de 180 milliards d’euros d’investissements dans le rail et le matériel roulant. Le développement équilibré de nos grands ensembles urbains, qui sont nos moteurs économiques, aujourd’hui congestionnés par le trafic automobile, appelle la réalisation de « RER métropolitains ».
La relocalisation de notre industrie passe par la relance des autoroutes ferroviaires de fret, la fin des tergiversations autour du tracé du Lyon-Turin ou la modernisation de la ligne des primeurs Perpignan-Rungis (Val-de-Marne). C’est aussi la réalisation de nouvelles lignes TGV pour soutenir l’économie et la revitalisation des lignes fines de desserte de la ruralité et de la montagne.
Un « bien commun » de la nation
Au moment des choix stratégiques, nous proposons un plan national de modernisation et d’équipement ferroviaire : agissons ensemble, c’est notre responsabilité collective. Nous en appelons à l’Europe pour investir massivement dans les réseaux de transport. C’est le sens du mécanisme pour l’interconnexion en Europe, dans le droit fil des objectifs du pacte vert européen. C’est également un puissant levier de la reconquête de la souveraineté énergétique européenne, objet du plan REPower- EU, qui doit être conduit dans l’exigence du développement des territoires. Les instruments existent, leur mobilisation nationale doit être ciblée vers le ferroviaire.
Nous en appelons à l’Etat pour qu’il mette en place une méthode nouvelle de contractualisation stratégique, sur la durée de deux contrats de plans Etat-Région, en faveur de la planification écologique du ferroviaire. L’Etat doit assumer ses responsabilités de propriétaire des infrastructures : le réseau ferré français est un « bien commun » de la nation. Il dispose de sources de financement, telles que les concessions autoroutières, en consacrant une partie de la recette aux modes alternatifs comme le ferroviaire. Il peut s’appuyer sur la SNCF, qui doit en être le pivot opérationnel et technique, dans une exigence accrue de transparence et d’articulation avec tous les acteurs.
Les régions seront à ses côtés pour améliorer la desserte et l’o!re de service. Europe, Etat, SNCF et collectivités s’engageraient à investir, sur une période de dix ans, entre 2023 et 2033, 10 milliards d’euros par an en moyenne. Notre ambition est claire : créer un « choc d’o!re » de transport, remettre à niveau le réseau existant et le moderniser dans les territoires ruraux comme dans les villes, construire les nouveaux RER métropolitains, renforcer les autoroutes industrielles et touristiques ferroviaires vers l’Europe.
Nous en appelons aux acteurs économiques et industriels, mais aussi aux partenaires sociaux et aux usagers du rail. Le rail est une idée d’avenir par laquelle nous pouvons concilier les mobilités et l’environnement, l’économie et le pouvoir d’achat, l’emploi industriel et le progrès. Un plan d’investissement de cette ampleur représente un engagement collectif, social et économique, qui redonne à la France une capacité à façonner son avenir et celui des citoyens de 2050. C’est un « new deal » ferroviaire, à la mesure des crises et des défis de nos générations, et du changement climatique. Dans l’esprit des grandes initiatives fédératrices qui ont modernisé la France, c’est notre plan pour sauver le train. Osons ensemble ce sursaut de vision stratégique pour l’avenir des mobilités, pour notre industrie et pour notre planète !
Signataires : Huguette Bello, présidente de la région Réunion ; Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France ; François Bonneau, président de la région Centre-Val-de-Loire ; Ary Chalus, président de la région Guadeloupe ; Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne ; Carole Delga, présidente de Régions de France, présidente de la région Occitanie ; Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique ; Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de l’assemblée de la collectivité territoriale de Corse ; Christelle Morançais, présidente de la région Pays-de-la-Loire ; Hervé Morin, président de la région Normandie ; Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France ; Jean Rottner, président de la région Grand Est ; Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine ; Gabriel Serville, président de la collectivité territoriale de Guyane ; Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse ; Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne- Rhône-Alpes.