L’ancien ministre et actuel président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, revient pour Corse-Matin sur l’actualité politique nationale et notamment les élections de ces derniers mois. Il livre également son sentiment sur les évènements de mars dernier en Corse et le processus qui en a découlé.
Comment allez-vous, Xavier Bertrand, après votre défaite à la primaire de la droite et le score décevant de Valérie Pécresse candidate des Républicains à la présidentielle ?
À titre personnel, je vais bien. Je sais que cela a surpris beaucoup de gens que je me réinvestisse à fond à la fois pour la campagne à la présidentielle, puis celle des législatives, mais également dans ma région. Le rendez-vous de Lumiu ce soir sera peut-être une façon de m’expliquer sur le passé, les raisons de cet échec, peut-être aussi de livrer ma vision de l’avenir. J’avais donné une longue interview programme l’année dernière dans Corse-Matin, je n’ai pas changé d’un iota, mon énergie est intacte.
J’ai conscience que la droite républicaine a un énorme travail de reconstruction à mener. Il faut tout faire pour que le score qu’on a connu aux présidentielles reste une sorte d’anomalie. Il ne faut pas qu’on s’habitue à avoir une droite aussi faible, sous les 10%. Cela a été un échec terrible. Comment est-on capable de repartir et de reconstruire ? Je reste intimement convaincu qu’on ne peut pas aujourd’hui avoir un pays qui connaît une sorte de fatalité de voir un jour les extrêmes l’emporter. C’est cela que je veux empêcher. Il y a une mécanique infernale qui s’est mise en place et qui conduira à l’élection de Marine Le Pen ou du Rassemblement National en 2027 s’il n’y a pas une prise de conscience. L’enjeu, c’est aussi que le quinquennat soit utile et important pour la France.
Comment expliquez-vous ces « échecs terribles » de la droite et votre échec personnel à la primaire ?
J’ai fait le choix de l’unité et c’est la raison pour laquelle j’ai joué à fond le jeu du Congrès. Je savais que c’était quasiment mission impossible, parce que j’étais parti des LR quelques années auparavant. Au final, tout s’est joué dans un mouchoir de poche. La leçon de cette élection, c’est qu’il faut rester nous-mêmes et ne pas courir après qui que ce soit. Il y a eu une « zemmourisation » de la campagne après la rentrée, qui a aussi marqué Les Républicains.
La droite doit incarner l’autorité, mais aussi défendre les classes moyennes et populaires ainsi que les territoires. La France est un pays formidable, mais 1 000 fois trop centralisateur. Dans mon ADN, il y a l’autorité, la reconnaissance du travail et la République des territoires. Ces idées-là, je les porterai jusqu’à mon dernier souffle en politique, car je pense que c’est ce qu’il faut à notre pays.
Pourquoi vous ne briguez pas la présidence du parti après la démission de Christian Jacob ?
Je suis intimement convaincu qu’il faut de nouvelles têtes. La dernière fois que la droite était aux responsabilités, c’était il y a plus de dix ans. On ne peut avoir aujourd’hui La France Insoumise avec des Adrien Quatennens, le Rassemblement national avec des Jordan Bardella et nous, sans nouvelles têtes. C’est un enjeu majeur pour LR.
J’ai une responsabilité de transmission. Concernant la présidence des LR, je pense qu’on y verra beaucoup plus clair début septembre.
Quel rôle pour les députés LR ?
Il nous faut éviter deux choses dans les cinq ans qui viennent : d’une parti une crise politique majeur, et c’est une responsabilité collective. D’autre part, il faut éviter l’immobilisme. Les députés LR ne doivent être ni des bloqueurs, ni des supplétifs. Il manque plus de 40 sièges à Emmanuel Macron et nous en avons plus de 60. Cela veut dire que, si on veut éviter toute ambiguïté, les choses doivent se faire avec LR. C’est à nous d’être force de propositions. Les seuls en position de ne pas être des bloqueurs, ce sont les LR, pas les extrêmes.
Et on a vu l’image que donne l’Assemblée nationale… Regardez le gouvernement, qui a réussi à éviter les blocages en dépensant des milliards pour faire passer un accord. Cela sera une autre paire de manche lorsqu’il y aura des textes durs à faire passer. Nous ne voulons pas être la béquille du gouvernement. C’est nous qui devons permettre de faire passer les textes : il faut que l’on soit reconnu comme tels.
Concernant les extrêmes, je voudrais ajouter que la stratégie du costard-cravate à l’Assemblée nationale est extrêmement dangereuse parce qu’elle peut être efficace. Le Rassemblement national ne cherche plus à se dédiaboliser, mais bien à se notabiliser. Je l’ai vu également dans ma région, au rendement des élections régionales, avec un président de groupe au discours plus policé. Au Rassemblement national, il ne faut pas se tromper, l’enseigne peut changer, la vitrine peut être refaite, mais le magasin et l’arrière-boutique restent les mêmes. Ils sont incompétents pour régler les dossier et leurs idées continuent à être terriblement dangereuses pour le pays.
Les méthodes du président ont-elles changé depuis les législatives ?
Emmanuel Macron y a été obligé. S’il écoute davantage aujourd’hui, c’est parce qu’il n’a pas de majorité. Le fait d’avoir renommé Elisabeth Borne montre que le président n’a voulu changer ni son projet ni sa gouvernance. Les Français ont voté pour Macron à la présidentielle parce qu’ils ne voulaient pas des extrêmes à la tête du pays. Aux législatives, ils ont dit qu’ils ne voulaient pas le même Macron que lors du précédent mandat. Emmanuel Macron, ça a été les gilets jaunes, la réforme avortée des retraites et une gestion très solitaire du Covid. Les Français ne veulent plus de ça. À l’Assemblée nationale, on a commencé par le plus facile, la distribution de milliards.
Zoom sur la Corse. Pouvez-vous commenter les évènements de mars ?
Ils ont été terribles. Ils m’ont fait mal, car vous connaissez mon attachement à l’île depuis 45 ans. J’ai suivi cela, avec l’idée que la Corse n’a pas envie de retrouver une spirale de la violence. C’est une évidence. Il faut bâtir maintenant, car beaucoup de temps a été perdu en incompréhension. Une seule chose compte, c’est de regarder vers l’avenir.
J’ai un message : tout ce qui se passe en ce moment ne doit pas être un jeu de dupes. Il n’est pas question de cultiver l’ambiguïté. Il faut que le gouvernement soit clair. S’il y a des changements constitutionnels, est-ce qu’il y aura une majorité pour le faire ? Personne n’accepterait que les discussions mènent à une impasse.
Il y a par contre un impératif : le développement économique et social de l’île. Vous le savez, je suis en faveur de la République des territoires, c’est-à-dire donner plus d’autonomie à l’ensemble des territoires, y compris aux régions. Concernant la Corse, si autonomie veut dire tourner le dos au tourisme, je pense que ce serait une erreur.
Les solutions sont connues depuis longtemps et on a surtout besoin de tourner le dos à l’inaction. La France est un pays du verbe, la Corse n’y fait pas exception. Mais les Corses attendent des actes avec pour priorité le développement économique et social dans une île qui doit être en pointe sur la préservation de la biodiversité et sur la transition énergétique. Je continue à militer pour cette République des territoires. Je vais faire des hauts-de-France une expérience avancée de ce que l’on peut entreprendre. La Corse a besoin aussi de cette avancée institutionnelle, c’est une évidence.
Comment se reconstruire et reconstruire un parti sans échéances électorales à l’horizon ?
J’ai un nouveau projet pour la rentée : faire vivre et grandir Nous France, mon nouveau mouvement politique.
J’ai longtemps travaillé avec La Manufacture, mais qui n’était pas organisée partout sur le territoire. Dès la rentrée, je lance une campagne d’adhésion pour Nous France et un vrai travail sur le fond avec de nouvelles personnalités qui vont l’animez. Pour la Corse, ce sera Vannina Patriarche, la fille du député Paul Patriarche. Je pense encore une fois qu’il faut de nouveaux visages pour pouvoir le faire.
Il y aura aussi un évènement important le 1er octobre avec les Rencontres de Nous France, chez moi, à Saint-Quentin, sur la terre de mes racines profondes. Le but est d’engager ce travail de fond.