Concilier les deux impératifs que sont la transition écologique et un logement abordable pour chacun, c’est en fait revenir à l’essence du développement durable. Gro Harlem Brundtland le définissait comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » (Notre avenir à tous, 1987, rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU). Peu après, le Sommet de la Terre de Rio, en 1992, le déclinait en trois objectifs : un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable.
« Préserver l’équilibre des opérations de construction »
Concrètement, en matière de logement, la soutenabilité écologique, c’est notamment la sobriété foncière pour limiter, voire stopper l’artificialisation. En France, rappelons-le, entre 20 000 et 30 000 hectares sont artificialisés chaque année. Cette artificialisation augmente presque quatre fois plus vite que la population. L’équité sociale, c’est l’obligation de lutter contre un mal-logement toujours aussi présent avec plusieurs millions de personnes fragilisées selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre.
Enfin, l’efficacité économique, c’est la possibilité de préserver l’équilibre des opérations de construction en prenant convenablement en compte la hausse des coûts de construction dans une esprit de solidarité de la « chaîne » de production du logement.
Les quatre tentations mortifères pour le logement
Ainsi, au regard de ces trois objectifs du développement durable, aucune solution ne résultera de la décroissance. Elle se traduit pourtant dans quatre tentations mortifères pour le logement qui prospèrent actuellement.
« La tentation du gel du territoire »
Il y a tout d’abord la tentation du« tout rénovation » qui nie le besoin de construction de logements nouveaux dans les territoires tendus comme ceux des Alpes-Maritimes ou du Pays basque, aussi bien pour les habitants que pour le tourisme. Il y a ensuite la tentation du « gel du territoire ». On fige et on ne touche plus à rien. Les territoires confrontés à la désertification comme ceux qui sont dynamiques seraient dans l’impossibilité de se développer. Ce n’est pas envisageable !
Troisième tentation, c’est celle du « collectivisme ». Le foncier deviendrait la propriété de l’État. Les maisons individuelles et la hausse des loyers seraient interdites… Tentation profondément contraire à nos valeurs et qui n’a pas vraiment fait ses preuves là où elle a pu être mise en œuvre par le passé… Enfin, il y a la « tentation égoïste », celle qui conduit des citoyens à s’opposer à tous les projets qu’il s’agisse de logement social, d’une entreprise ou d’un équipement public.
Les 5 pistes
Face à ces défis et à ces menaces qui pèsent sur le logement, je voudrais verser au débat cinq pistes de solution inspirées de l’expérience et de cas concrets (Au Sénat, Dominique Estrosi Sassone a été nommée rapporteur de la loi Macron, de la loi Égalité et Citoyenneté et plus récemment des lois ELAN, 3DS, Climat et Résilience sur les titres Urbanisme et Logement. Son dernier rapport d’information dont elle est co-auteur, a été présenté en juillet 2022 et porte sur l’évaluation de la politique de la ville)
- Reconstruire des solidarités pour dépasser les égoïsmes passe selon moi par une participation rénovée et approfondie des habitants. Le besoin de logements sociaux, d’entreprises et d’emplois, d’énergie ou de réseaux de communication doit se co-construire avec nos concitoyens. Beaucoup de projets ont été améliorés par ces mécanismes qui se développent. La réhabilitation du quartier Danton au Havre en a été un exemple remarquable en faisant émerger des propositions nouvelles et une vraie dynamique.
- La densité n’est pas antinomique au « bien vivre » s’il y a une qualité architecturale et des services de proximité. Je voudrais ici citer le travail remarquable de l’association Foncière Logement, filiale d’Action Logement, qui intervient dans le cadre de la rénovation urbaine de quartiers prioritaires. Elle y conjugue mixité, avec le retour des classes moyennes, qualité d’usage, avec des exigences sur le plan des logements, les extérieurs et les hauteurs sous plafond, et enjeux écologiques, avec par exemple l’installation systématique de bornes de recharges pour les véhicules électriques.
- La stabilité de la réglementation et le réalisme des échéances doivent être recherchés. Le Gouvernement précédent a modifié dans la loi Climat-Résilience, en 2021, des dispositions qu’il avait fait voter dans la loi Énergie-Climat en 2019. Ce n’est pas possible pour les acteurs ! S’il paraît nécessaire de fixer des exigences en termes de rénovation thermique, elles doivent s’inscrire dans un calendrier réaliste avec un accompagnement sur le plan financier. C’est ce que le Sénat a plaidé dans la loi Climat-Résilience. Le compromis de CMP, où a été retenu un calendrier trop exigeant (interdiction de louer les logements E en 2034 notamment) mais avec une échappatoire sous forme de rapport au Parlement, n’est certainement pas la meilleure formule pour mettre tout le monde en ordre de marche.
- L’accompagnement des plus fragiles me tient également particulièrement à cœur. Dans la loi Climat-Résilience, j’ai voulu rendre possible un reste à charge minimal et l’accès à un accompagnateur rénov’ pour tous car une rénovation globale n’est pas à la portée de toutes les bourses.
- Enfin, je suggère d’actionner les effets de levier. Dans le logement, le poids des dépenses publiques peut vite s’envoler. Or, nous entrons dans une période de « sobriété budgétaire ». Plutôt que certaines solutions qui pèsent plusieurs milliards avec des effets individuels limités, il est certainement possible d’utiliser des outils moins coûteux pour faciliter les décisions ou financer les projets immobiliers. Je prends trois exemples : la compensation de la TFPB aux maires, le financement du logement intermédiaire et la TVA dans le logement social. Aujourd’hui, la TFPB est compensée pour les nouveaux projets sur une durée limitée et sous réserve d’une clause de revoyure… Ne pourrait-on pas faire vraiment confiance aux maires et leur donner un vrai horizon ? Concernant le financement du logement intermédiaire, on sait que le Pinel est coûteux et qu’il a des effets indésirables mais qu’il est indispensable à la construction. Ne pourrait-on basculer plus rapidement vers des fonds de placement accessibles à un plus grand nombre de Français pour financer le logement intermédiaire institutionnel ? Enfin, un taux réduit de TVA pour le logement social, c’est 5 000 € environ par logement neuf et donc de quoi modifier la donne du secteur… Cela ne mérite-t-il pas d’y revenir ?
Je me réjouis d’être aux Entretiens d’Inxauseta à Bunus le 26/08/2022 pour échanger et débattre avec tous les acteurs du logement de la nécessité de concilier l’impératif de transition écologique avec celui de fournir un logement abordable à chacun. Car, je le crois fermement, il n’y a pas d’opposition entre « fin du monde et fin du mois », bien au contraire. La rénovation thermique est au cœur des questions de pouvoir d’achat, été comme hiver, aujourd’hui comme demain.