Hyperactif dans la campagne des législatives, Xavier Bertrand compte peser dans la reconstruction de la droite. Mais son espace politique au sein de LR est tenu.
Article par L’Express : https://www.lexpress.fr/actualite/politique/xavier-bertrand-ce-qu-il-prepare-ce-qui-se-dresse-sur-son-chemin_2174508.html
Article de Paul Chaulet
Il n’a perdu aucun réflexe. Ce mercredi 1er juin, Xavier Bertrand est attendu à 9h30 dans un bistrot du 17e arrondissement parisien. Le patron des Hauts-de-France vient soutenir la candidature d’Alix Bougeret aux élections législatives. Avant d’entrer dans le café, petit passage chez le kiosquier du coin. Une discussion souriante s’engage, l’élu repart avec un exemplaire de LaPat’ Patrouille sous le bras. La politique ne connaît aucun temps mort.
Sur place, une trentaine de militants l’attendent. Son style n’a pas changé. Comme lors du Congrès LR, il déambule dans la salle, micro en main. Il fait l’éloge de la candidate et lâche ses coups contre le « laxisme » sécuritaire du gouvernement et le « scandale » du traitement des retraités. Pas question d’être la « béquille » de la future majorité parlementaire. La droite s’inscrira dans l’opposition. « Du gros rouge qui tache », sourit un présent. Xavier Bertrand plaide enfin pour une « droite populaire », capable de parler à ceux qui « vont bien, ne vont pas bien et aux classes moyennes ». Comme un air d’automne 2021.
Hyperactif lors des législatives
Hyperactif Xavier Bertrand. Le président de région quadrille la France en vue des législatives. Il aura réalisé une cinquantaine de déplacements d’ici au premier tour de scrutin, le 12 juin. Son entourage dépeint un élu très demandé, tant LR souffre de l’absence de figure nationale. Le 25 mai, il était aux côtés du député du Pas-de-Calais Pierre-Henri Dumont. « Il attire du monde et aime faire campagne, note l’élu. Il a aussi le désir d’accompagner la nouvelle génération. »
A droite, personne n’en doute : six mois après son échec à la primaire, les ambitions nationales de Xavier Bertrand sont intactes. « Il est remonté sur son vélo pour jouer le coup en 2027 », juge un conseiller LR. De retour chez Les Républicains depuis octobre, l’homme participe aux réunions stratégiques du parti. Tout comme Laurent Wauquiez, avec lequel il entretient des relations très fraîches. Il maintient le contact avec ses partisans, de réunions envisioconférence et boucles de messagerie. Il réunira ses soutiens en juillet pour évoquer l’après-législatives.
Très présent dans les médias nationaux, il s’y pose en procureur implacable de Macron 2. Xavier Bertrand a une structure pour s’organiser : « Nous France », mouvement politique héritier du Think-tank « La Manufacture ». Son maillage territorial sera approfondi après les législatives, tout comme sa dimension de « boîte à idées ». « C’est un lieu de création de propositions réunissant des personnes qui partagent des valeurs communes et l’envie de réunissant des personnes qui partagent des valeurs communes et l’envie de travailler avec Xavier », résume son ancien directeur de campagne, Vincent Chriqui.
« Ses idées l’ont emporté »
Dans le camp Bertrand, on se défend de toute concurrence avec LR. L’ancien ministre a refusé que les candidats aux législatives LR n’apposent le logo de « Nous France » sur leurs affiches. Huit mois après son retour dans la famille, cela ferait mauvais genre.
L’ancien ministre ne manque pas d’atouts. Le défenseur de la « valeur travail » a observé combien la présidentielle a tourné autour du pouvoir d’achat. Marine Le Pen a utilisé cette thématique pour terrasser Eric Zemmour. Valérie Pécresse n’a pas imprimé sur ce sujet, en tête des préoccupations des Français. Chez les soutiens de Xavier Bertrand, la tonalité de cette campagne est autant un regret qu’une satisfaction. « Il n’a pas gagné le Congrès, mais ses idées l’ont emporté », confie la vice-présidente de la région Grand-Est Valérie Debord. « Il n’est pas dans le regret, tempère un intime. On ne saura jamais ce qui se serait passé s’il avait été candidat. »
L’ex-assureur a en partie réhabilité son image personnelle. Sa réticence à se soumettre à la primaire avait agacé les militants LR à l’automne dernier. Ces atermoiements, qui ont plongé la droite dans le brouillard pendant des mois, ont contribué à sa défaite. Mais le vaincu a joué le jeu lors de la campagne. Il s’est déployé pour Valérie Pécresse, enchaînant meetings et réunions stratégiques. Un mélange de catharsis et de sens politique. « On était à la limite du syndrome de Stockholm », sourit un fidèle. En février, Nicolas Sarkozy suggère même à la candidate d’annoncer la nomination de Bertrand comme Premier ministre en cas de victoire. En vain.
« Il est dans une impasse stratégique »
Tout n’a pas été rose. Le patron des Hauts-de-France est soupçonné d’avoir fait fuiter dans la presse des critiques tenues en interne contre l’emploi du terme « grand remplacement » par Valérie Pécresse lors du meeting du Zenith. « Il nous a foutus dans la m… en cherchant à prendre date pour la suite », raille un proche de la candidate battue. Ces anicroches de coulisses ne pèsent guère face au récit du vaincu loyal. « La marque Bertrand n’a pas été abîmée pour la présidentielle, résume un fidèle. Il a maintenant envie de construire quelque chose. »
Cette « construction » est d’une obscure clarté. Côté clair : l’ADN de Xavier Bertrand est stable. L’homme se veut l’apôtre d’une « droite sociale » au service des classes moyennes et ferme sur les questions régaliennes. En témoignent deux propositions martelées lors de la campagne législative : une baisse de la CSG et des peines minimum pour les agresseurs des forces de l’ordre. Il est soutenu par de nombreux députés de la jeune génération, issus de territoires ruraux ou frappés par la désindustrialisation.
Côté sombre : l’espace politique de Xavier Bertrand est flou. Critique envers Emmanuel Macron, il n’incarne pas le flanc droit de la majorité. Difficile pour lui d’offrir une alternative à Edouard Philippe ou Bruno Le Maire, de facto héritiers des quinquennats du chef de l’Etat. « Sur le fond, il est pourtant plus un concurrent de Philippe qu’un prétendant LR », note un cadre.
S’imposer au sein des Républicains sera difficile. Ses militants s’ancrent à droite. Les sujets identitaires les passionnent davantage que la « République des territoires » du président des Hauts-de-France. « Il n’est pas au centre de gravité de LR, note un intime. Le centre de gravité du parti, c’est aujourd’hui la droite Wauquiez-Ciotti. » « Il est dans une impasse stratégique », ajoute un cadre LR. Etrange paradoxe : la droite Bertrand rencontre un écho dans le pays, mais n’a guère de réceptacle partisan.
La présidence de LR en question
Ses soutiens ont conscience de ce hiatus. Plusieurs de ses lieutenants lui déconseillent ainsi de briguer la présidence du parti cet automne. La bataille serait perdue d’avance. Mais se résigner à laisser les clés du parti à sa frange la plus droitière est un autre risque politique : celui de la marginalisation. L’intéressé reste muet sur ses intentions et ne s’exprimera pas avant les législatives. Un indice : Xavier Bertrand a ainsi récemment échangé avec Michel Barnier, qu’il imagine en « candidat de compromis ».
Xavier Bertrand n’aurait pas la tête aux guerres partisanes. Il voudrait surtout peser sur la reconstruction idéologique de la droite. Cela tombe bien, aucune élection nationale n’a lieu avant les européennes de 2014. Il souhaite rencontrer des chercheurs, des intellectuels et compte sur « Nous France » pour épaissir son o!re politique. Il estimait être le mieux préparé des candidats de droite en 2021, mais a payé pour savoir que sa mue en futur président n’était pas complète. « Il veut mener sur le temps long un travail sur la pensée », assure le président du Conseil départemental de l’Essonne François Durovray. Noble déclaration d’intention. L’avenir dira si elle résiste aux secousses qui attendent LR.